L’augmentation de la demande mondiale de calories crée des pressions inflationnistes
Renchérissement des cours, un choc émanant des pays riches et à revenu intermédiaire
Blé australien, porc chinois, maïs américain. Ces produits ont-ils un lien avec la macroéconomie ? Malheureusement, oui. Et ce lien, fort important à l’heure actuelle, a des ramifications planétaires. Au cours des douze derniers mois, le monde a subi un énorme choc inflationniste : l’augmentation des prix des produits alimentaires.
Ce choc ne se traduit pas forcément par une inflation accrue et soutenue ; dans la plupart des pays, la politique monétaire semble réagir de façon appropriée. Mais ce choc aura des effets néfastes, particulièrement sur les citadins relativement pauvres des pays à faible revenu.
En revanche, il y a deux raisons d’espérer : les avantages directs pour les agriculteurs des pays à faible revenu et la possibilité pour les pouvoirs publics d’éliminer les subventions agricoles dans les pays riches.
Le renchérissement des produits alimentaires est un choc qui émane essentiellement des pays riches et à revenu intermédiaire. Depuis un certain temps, les prix des matières premières sont en hausse, surtout ceux des carburants et des métaux. Cette hausse est attribuable à la vigueur de la croissance dans le monde — au cours des cinq dernières années, la croissance a atteint des niveaux inégalés depuis les années 60. Evidemment, la forte croissance mondiale est largement étayée par la bonne performance des marchés émergents.
Le renchérissement des produits de base devrait susciter une réaction de l’offre, avec un certain décalage, et presque tous les pays en développement ont bénéficié de l’essor économique mondial. Ainsi, ce que nous observons est peut-être en partie un effet secondaire inévitable de la prospérité croissante à l’échelle mondiale.
En outre, il y a l’impact de la météorologie. Certaines régions du globe ont connu de graves sécheresses et d’autres des maladies animales.
Politique relative aux biocarburants
Plus récemment, les prix des produits alimentaires ont flambé, du moins en partie, à cause d’une tentative de promotion des fameux biocarburants dans les pays industrialisés. Les biocarburants sont une source d’énergie renouvelable ; par exemple, on fabrique de l’éthanol à partir du maïs, on mélange cet éthanol avec de l’essence pour alimenter les voitures, et on accroît la production de maïs. Comme moyen d’assurer la sécurité énergétique, c’est assez attrayant : on diversifie ainsi les sources d’énergie. Malheureusement, bien que l’on surestime parfois les avantages des biocarburants, leurs inconvénients sont évidents. La fabrication de l’éthanol à partir du maïs ne produit pas tant d’énergie nette — on utilise presque autant de pétrole pour produire et transporter l’éthanol qu’il n’en faudrait pour générer la quantité d’essence équivalente. De plus, elle ne réduit pas beaucoup les émissions de carbone. Mais elle renchérit le maïs.
La flambée des prix du maïs au cours des deux dernières années a été remarquable — ils ont quasiment doublé aux Etats-Unis et dans le monde (malgré une légère baisse ces derniers mois). Elle a eu des répercussions sur d’autres produits ; ainsi, une proportion marginale des terres consacrées au blé a été affectée au maïs ou, phénomène plus marqué en Europe, des terres vouées à la production laitière sont désormais consacrées au bio- diesel (notamment au colza, dont les prix ont aussi grimpé). Selon les services du FMI, le renchérissement récent des produits alimentaires est en grande partie directement attribuable à la politique relative aux biocarburants.
Le protectionnisme agricole est un aspect crucial de cette politique. Des pays comme le Brésil peuvent produire de l’éthanol beaucoup moins cher à partir du sucre, réduisant ainsi la consommation d’énergies non renouvelables et la pollution. Mais l’éthanol à base de sucre est soumis à des tarifs prohibitifs aux Etats-Unis (et à des obstacles similaires en Europe). En outre, les subventions à la production dans les pays riches, destinées à encourager l’innovation dans ce secteur, semblent avoir entraîné une ruée vers la distillation de l’éthanol aux Etats-Unis. Il est utile d’encourager l’innovation — par exemple, la culture du jatrophe en Inde est très prometteuse, mais requiert de gros investissements pour devenir tout à fait viable —, mais il existe des moyens plus efficaces de promouvoir la recherche et le développement dans ce secteur.
Conséquences
Si le choc affectant les prix des denrées alimentaires s’explique largement par la politique des pays industrialisés en matière de biocarburants, qui en subit les conséquences ? D’abord, ces pays eux-mêmes ne sont pas à l’abri des effets d’un tel choc. Dans son calcul de l’inflation sous-jacente (qui guide les actions de politique monétaire aux Etats-Unis), la Réserve fédérale n’inclut pas les prix alimentaires, qui sont foncièrement instables. Mais, si la hausse de ces prix risque d’être permanente, en raison de la montée en puissance des biocarburants ou pour toute autre raison, il y a lieu d’en tenir compte dans le calcul de l’inflation sous- jacente (comme le font déjà certaines banques centrales de pays industrialisés).
Néanmoins, l’impact sur les pays riches sera limité, pour une raison simple. Dans la plupart des économies avancées, la nourriture constitue une assez faible proportion de la consommation — 10–15 % en moyenne, proportion davantage attribuable à la transformation et à la distribution qu’au coût de la matière première — et, partant, un élément mineur de l’indice des prix à la consommation (IPC). Dans de nombreux pays pauvres, l’alimentation est un volet beaucoup plus important de l’IPC. Ainsi, elle représente près de 30 % des achats des consommateurs en Chine et sur d’autres marchés émergents et 50 % ou plus dans bien des pays en développement et à faible revenu. Autrement dit, la hausse des prix mondiaux du maïs, du blé, du lait et de la viande se traduit aussitôt par une poussée de l’inflation dans les pays pauvres.
Il s’ensuit que les pays à revenu intermédiaire et en développement devront appliquer une politique monétaire plus rigoureuse — avec des taux d’intérêt plus élevés — (évidemment, ils pourraient aussi prendre des mesures non axées sur le marché comme les contrôles des prix, qui créent des distorsions). Cela creusera l’écart d’intérêt entre pays pauvres et pays riches, ceux-ci ayant tendance à réduire les taux d’intérêt. En conséquence, les opérations spéculatives sur écarts de rendement pourraient prendre de l’ampleur — on emprunte dans une monnaie à taux d’intérêt relativement bas (le yen par exemple) pour investir dans une monnaie à taux d’intérêt relativement élevé (monnaie de pays en développement par exemple).
Il n’y a rien de mal à transférer des capitaux des pays riches aux pays pauvres — si cela se fait dans les règles de l’art et à un rythme délibéré, cela peut certainement contribuer au développement. Mais, dans ses travaux sur la mondialisation financière, le FMI fait une importante mise en garde : si un pays reçoit trop de capitaux, trop rapidement et de façon désordonnée, cela peut miner sérieusement la stabilité et la croissance économiques.
Gagnants et perdants
Les gros perdants, ce sont les citadins pauvres. Au-delà des considérations macroéconomiques, l’impact du renchérissement des denrées alimentaires sur ces derniers est manifeste et simplement douloureux : ils doivent payer davantage pour manger. En raison de la croissance démographique dans de nombreux pays pauvres, la hausse des prix alimentaires exerce des pressions accrues sur les budgets des plus démunis. Ceux qui produisent assez de nourriture pour eux-mêmes et pour le marché peuvent en bénéficier (selon l’évolution exacte des prix de leur production et de leur consommation), mais les pauvres en pâtissent, dans les villes et dans bien des campagnes.
Y a-t-il des raisons d’espérer ?
Les gagnants les plus probables seront les agriculteurs de tous les pays, y compris les pays pauvres. Evidemment, il est probable que les citadins en souffrent ; par conséquent, l’impact net variera selon les pays.
Une autre possibilité pourrait émaner de cette situation difficile qui évolue rapidement. Les subventions agricoles de toutes sortes dans les pays riches faussent depuis longtemps le commerce international et entravent actuellement les efforts de libéralisation des échanges.
Les pays riches rechignent à ouvrir davantage leurs marchés les plus protégés.
Les prix alimentaires étant élevés, les subventions sont moins attrayantes, voire peu rentables — selon leur structure — au-delà d’un certain niveau de prix. Les pays industrialisés devraient profiter de l’occasion pour abolir les subventions de telle manière qu’il soit difficile de les réimposer par la suite.
Bien que l’Union européenne ne soit pas toujours considérée comme un modèle en matière de réforme agricole, elle a réalisé des progrès remarquables pour les subventions aux exportations de lait. Les prix du lait étant au plus haut cette année, ces subventions ont été suspendues. Compte tenu du processus décisionnel en matière de politique agricole, le rétablissement de ces subventions pourrait être difficile.
Toutefois, les tarifs imposés par les pays industrialisés sur l’éthanol devraient également baisser. Les pays riches ne cessent d’exiger que les pays pauvres créent sérieusement de la valeur ajoutée dans le secteur agricole. Telle serait la conséquence d’une expansion rapide du marché mondial des biocarburants. Mais cela ne se produira que si l’on supprime les tarifs douaniers sur les importations de biocarburants dans les pays riches. Dans ce domaine, il n’existe assurément pas de solution miracle, mais la libéralisation accrue du commerce de biocarburants devrait aider de façon générale le secteur agricole dans le monde entier et avoir des retombées positives sur les sociétés rurales et pauvres. L’on pourrait accroître les possibilités d’exploitation des terres si tous les pays avaient des chances raisonnables de produire des biocarburants.
Simon Johnson, Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI
Cet article est tiré du numéro de décembre de « Finances & Développement »
Source: lopinion,maroc