Depuis longtemps, on le sait, l’influence de la famille était très prégnante dans la conduite des affaires de l’Etat aussi bien sur le plan administratif, politique, qu’économique. Mais pour que cette influence soit pérenne, il faut garantir l’exercice du pouvoir par la lignée. L’éviction de Salif Diallo semble être le top départ de la mise en orbite du dauphin putatif du Président Compaoré. Des cercles et des alliances sont constitués, des plans de communication sont mis en œuvre, des stratégies de purges sont élaborées. Rien n’est laissé au hasard. C’est dans cette logique que s’inscrit le réarmement moral de structures telle la FEDAP et ce qui semble être la controverse au sein du CDP. A l’analyse, une grosse machine est en mouvement jusqu’où ira-t-elle ?
Le 19 avril dernier, la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (FEDAP-BC) s’est mise en sellette par l’inauguration de son siège situé sur l’Avenue de l’aéroport à Ouagadougou.
Cette inauguration qui marque le lancement des activités de cette structure, aurait pu être un épiphénomène n’eut été le contexte, le caractère et les missions de cette organisation. En rappel, les « tanties », les tontons », « les neveux », « les amis de Blaise », les compradores et autres bonnets rouges et chapelets, toute une kyrielle d’associations ont reçu la directive de fédérer leur énergie afin de donner naissance le 30 octobre 2007 à une organisation mieux structurée, la FEDAP-BC.
La paix et le Progrès avec Blaise Compaoré, tel est le leitmotiv de la FEDAP qui se veut une organisation apolitique pour soutenir un homme dont les actes quotidiens, dont les rêves ne sont que politiques. Il faut vraiment le faire ! La FEDAP n’en a cure. Parce qu’elle est apolitique, elle estime que la politique ne saurait être l’affaire des seuls professionnels. Si cette organisation, dont il est évident, pour tous les observateurs de la scène politique, qu’elle est née sous l’instigation de François Compaoré, le conseiller de son frère de Président lance maintenant ses activités, cela semble s’inscrire dans une stratégie politique savamment goupillée.
En effet nous sommes à une période qui n’est ni préélectorale ni électorale. Tactiquement donc une période qui peut servir à une clarification et un positionnement politique. Et la synergie de certains faits non fortuits donne à réfléchir pour ne pas dire qu’elle laisse peu de place au doute.
Il y a d’abord la crucifixion de Salif Diallo à Pâques et il s’avère vraisemblable que cela a été fait sur l’autel de la succession à Blaise. Nous l’avons dit, que Salif Diallo ait été viré du gouvernement n’est pas un problème en soi ; ce sont les raisons qui ont abouti à cette cassure qui importent. L’opposition Salif Diallo-François Compaoré, si elle a abouti à l’éviction du premier est venue confirmer les velléités de « dauphinat » du second. Notre confrère L’Hebdo du Burkina, qui est souvent au fait de ce qui se passe dans la maison-mère nous situe amplement en écrivant dans sa livraison N°469 du 18 au 24 avril 2008 : « … Il est vrai que l’adversité des coups et attaques multiformes récurrents a certainement façonné le caractère de ce dernier et lui a donné la carapace d’un dauphin redouté. Par anticipation il faudrait donc tout faire pour éliminer cet « obstacle » potentiel par la magie des « fatwa » ou interdits antidémocratiques. (…) Sans présager des intentions de François Compaoré, on fera remarquer que s’il ambitionne de succéder à son frère, il n’est, jusqu’à preuve du contraire, frappé par aucune illégitimité légale. En effet, il n’y a aucun interdit, d’un point de vue de la loi fondamentale, ni des habitudes républicaines, à ce que François Compaoré ait des ambitions présidentielles. Au terme des articles 11 et 12 de la Constitution, François Compaoré, comme tous les burkinabè jouissant de tous leurs droits civiques et politiques est électeur et éligible à toutes les fonctions dans la gestion des affaires de l’Etat et de la société burkinabè.
C’est un droit constitutionnel garanti comme tel et il n’y a aucune raison que cela change. Si le fait d’être le frère puîné de l’actuel président, présente un quelconque désavantage, c’est strictement d’un point de vue politique. A savoir que les électeurs vont forcément imputer les insuccès du premier au second et exprimer donc leur vote en fonction de cela. Dans un scénario inverse le second pourrait également récolter les dividendes des réussites de la politique du premier. Dans tous les cas de figure, nous sommes très loin du schéma de la succession dynastique que l’on agite à la manière d’un épouvantail à faire peur. N’est-ce pas qu’aux Etats Unis Georges W. Bush est devenu président après son père ?
Ce pays n’est pas pour autant devenu un royaume. Hillary Clinton rêve du Bureau Oval à la Maison-Blanche après son époux, il n’y a aucun scandale à cela. En Argentine, depuis le 10 décembre 2007, Cristina Fernandez de Kirchner a pris la place de son mari, Nestor Kirchner à la tête du pays, personne n’y voit un scandale encore moins une succession dynastique. L’important nous semble-t-il est dans la manière dont ces successions se sont passées. »
Tout est dit !
Il est vrai que Bush père n’a pas fait 20 ans au pouvoir pour passer le relais à son fils. Tout aussi vrai que Nestor Kirchner n’est pas rentré par effraction sanglante dans l’histoire de son pays avant de passer la main à son épouse !
Bref l’essentiel est là, François Compaoré pourrait être, selon les circonstances, candidat en 2010 ou en 2015.
Et c’est peut être là qu’il faut situer la fébrilité actuelle de la FEDAP, fébrilité qui s’inscrit dans la mise en orbitre de leur parrain et le refus de laisser « les questions touchant à la vie et l’avenir de la Nation » aux professionnels de la politique. Un bel euphémisme pour ne pas dire le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). A croire que le CDP est devenu gênant ou inutile pour son fondateur. D’ailleurs un richissime opérateur économique, bonze de la FEDAP recevant la délégation de sa région du Yatenga venue pour l’inauguration du siège a tenu les propos suivant : « Nous on va où Blaise nous dit d’aller. Quand il nous a dit d’aller dans l’ODP/MT nous y sommes allés. Quand il nous a dit d’aller au CDP nous y sommes allés. Il nous dit que le CDP ne lui sert plus, d’aller à la FEDAP nous y allons ». Propos qui ont étonné bien de délégués car militants du CDP.
Le mieux qu’on puisse dire c’est qu’il y a une volonté de se délester d’une organisation devenue encombrante. Et ce n’est pas un hasard la publication de cette lettre qui s’en prend vertement au président du CDP parue dans « Le Pays » du 25 avril 2008 et signée par trois membres du Bureau exécutif et trois membres du bureau politique du CDP, qui énoncent plusieurs griefs sur la gestion du CDP et soulignent que « Tout se passe comme s’il y avait d’un côté le président Compaoré qui se veut homme de rassemblement au point d’avoir consacré un septennat (1997-2002) au large rassemblement, soutenu en cela par des patriotes convaincus ; et de l’autre, certains petits malins qui jouent à la division et à l’exclusion avec une volonté non avouée, parce que non avouable, de saper les fondements mêmes de la politique du président. » Ici, la tactique pue à mille lieux. Il est normal qu’un militant ou un groupe de militants écrivent au président de leur parti sur des questions organisationnelles. Mais lorsque en même temps cet écrit est publié dans la presse, c’est qu’il y a d’autres objectifs que celle de la bonne administration du parti.
Et si le CDP se devait d’être respectueux de ses textes, les signataires devraient être suspendus en attendant qu’un congrès se penche sur le cas. Et, ne serait-ce pas là même, le souhait des signataires ? Qu’ils soient sanctionnés leur permet de quitter en grande pompe le CDP pour aller contribuer à la création de l’organisation de combat du « dauphinat ».
Limogeage de Salif, FEDAP, contestation au sein du CDP, tout ceci semble concourir au même objectif : baliser le terrain pour assurer la place de la lignée dans la succession au mieux, pérenniser l’occupant du trône à défaut. Le seul couac, pour le moment, c’est que les concepteurs de ces scenarii comptent pour peu le peuple dans ces différentes composantes et dans ces différents compartiments. Et cela est une grave erreur stratégique.
Pabèba Sawadogo
Bendré
Source: lefaso