ONG, partis politiques, syndicats, maisons de jeunes, etc. Une récente enquête pilotée par l’Unicef s’est interrogée sur l’intervention des jeunes Marocains dans l’espace public. Instructif.
À quoi ressemblent les jeunes Marocains ? Croient-ils en leurs pays, ou ne rêvent-ils que de le quitter ? Agissent-ils sur leur quotidien et celui de leurs semblables, ou ne font-ils que subir les erreurs de leurs aînés en ruminant leur colère ? À priori, ces questions peuvent sembler farfelues, tout comme l’énoncé de l’étude menée par l’Unicef, intitulée “La participation des jeunes dans la société”. À priori seulement, tellement ses résultats sont révélateurs. Première (bonne) surprise : 60% des jeunes sondés se considèrent comme des acteurs actifs dans leur société. Un activisme qui passe par plusieurs organisations. Il y a d’abord les relais classiques : ONG, clubs scolaires, maisons de jeunes et, dans une mesure bien moindre, les partis et les syndicats. Mais de plus en plus de jeunes citent également les salons de discussion sur Internet et les blogs comme des moyens d’agir sur son quotidien. En gros, ce sont des raisons souvent subjectives qui poussent un jeune à “se bouger” aujourd’hui. Sur plus de 1000 personnes sondées, 14% seulement affirment “participer au changement”. Le reste, soit plus de 70% des jeunes interrogés, disent s’impliquer pour “acquérir de nouvelles connaissances” ou… “évacuer le stress et la pression du quotidien”. “Il y a trop de pression sur les filles, qui n’ont pas d’espaces où pratiquer leurs loisirs. Notre ville n’offre pas de possibilités à ses jeunes et les parents ne sont pas toujours d’accord pour les laisser faire”, confie une jeune sondée, résidant à Témara. Ce dernier argument concerne, sans surprise, davantage les filles que les garçons. L’opposition des parents continue de constituer un handicap à la participation des jeunes filles dans l’espace public. Le témoignage de cette jeune Tangéroise est édifiant : “Pour faire partie de cette équipe, j’ai dû faire venir mon frère avec moi. Mon père refuse que j’aie d’autres activités en parallèle à mes études. Il ne me fait pas confiance et croit que cela influencera négativement mes résultats scolaires”. Morale de l’histoire : “Il y a rarement un refus préalable de la part du jeune. Ce sont surtout des facteurs externes qui sont évoqués pour motiver leur non- participation dans la vie publique”, affirment, en substance, les auteurs de l’enquête.
La politique mal aimée
L’étude menée par l’Unicef ne fait que confirmer le flagrant désamour entre jeunes et politique. Seuls 44% des sondés affirment avoir “une connaissance relative du paysage politique marocain” et 54% en ignorent presque complètement les contours. Et lorsqu’on demande aux jeunes Marocains de citer des noms de partis politiques, le PJD et l’USFP arrivent ex-æquo en tête (avec 22% des sondés), talonnés par l’Istiqlal, le Mouvement populaire et le PPS. “Les partis politiques sont juste des marionnettes. Il ne faut pas croire en leur bonne foi. En plus, les membres des partis politiques sont soit des parents soit des proches ou amis. Si tu n’es pas d’accord avec eux, tu es exclu et tu finis par partir”, témoigne un jeune sondé de Marrakech. Les jeunes mettent ainsi tous les partis dans le même sac, les voyant comme “des structures familiales”, une sorte de club fermé qui n’excelle que dans les discours. Mais ce mépris de la vie partisane ne signifie pas désintérêt pour la vie politique, comme le montrent certains commentaires, étonnants de lucidité : “Il y a des quotas pour les femmes, pas pour les jeunes. Quand ils veulent rajeunir les organes d’un parti, ils placent leurs enfants ou leurs petits-enfants. C’est comme des royaumes dans le royaume”, estime un sondé de Tanger. Côté syndicats, la désaffection est encore plus flagrante : moins de 20% des questionnés connaissent “quelques syndicats ouvriers ou estudiantins”. Le seul syndicat cité nominativement est la CDT, la remuante centrale syndicale des années 80, qui continue (apparemment) à surfer sur la notoriété de son ex-leader historique, Noubir Amaoui.
L’associatif, oui mais…
En revanche, 63% des jeunes sondés affirment être proches du milieu associatif. En tête des organisations connues, les interrogés citent les associations de développement comme Zakoura et Tanmia, mais également les associations de quartier “qui font désormais partie du paysage social”, et qui privilégient les actions de proximité. Les associations des droits de l’homme, comme l’AMDH et l’OMDH, sont également citées par 14% des interrogés, “essentiellement à cause de leur forte médiatisation ces dernières années”, estime l’un des auteurs de l’enquête. Viennent ensuite les associations thématiques (sida, cancer, droits des enfants…), alors que les associations féministes ferment la marche, avec seulement 7% des voix exprimées. Curieusement, le nouveau Code de la famille est cité comme… une association, malgré le tapage médiatique qui a accompagné la réforme, voulue et défendue par Mohammed VI. Une approximation qui se traduit au niveau du taux d’adhésion aux différentes ONG présentes au Maroc. Sur le millier de sondés, seuls 300 personnes affirment être des membres actifs au sein d’une association. Une faible participation que les sondés imputent au manque d’informations et à l’éloignement spatial, mais aussi à une certaine mauvaise image. “Mes parents ne me laisseront jamais adhérer à une association ni assister à ses activités. Ils estiment que c’est un milieu fréquenté seulement par les garçons”, affirme une jeune fille de Témara. Le même constat vaut pour les maisons de jeunes. “La mauvaise image de ces maisons nourrit les rumeurs et provoque le refus des parents, soucieux de la réputation de leurs enfants en général et de leurs filles en particulier”, peut-on lire sur le rapport de synthèse qui présente l’enquête. Pour autant, les garçons ne sont pas plus enthousiastes pour adhérer aux maisons de jeunes. “Les alentours des maisons de jeunes sont devenus des lieux pour les clochards et les malfaiteurs. Si moi je n’ose plus y aller, comment des filles peuvent-elles s’y aventurer ?”, estime un jeune de Marrakech.
La famille, une valeur sûre
C’est pratiquement la seule “institution” (c’est ainsi que la définit l’étude) qui remporte l’adhésion du plus grand nombre. Une proportion de 82% affirment s’impliquer dans le quotidien de la famille, de manière volontaire pour l’écrasante majorité. Mais, comme on peut s’y attendre, les tâches accomplies diffèrent selon le sexe : travaux ménagers pour les filles, bricolage et courses pour les garçons.
Une proportion de 11% des sondés affirment soutenir financièrement leurs familles. Mais là, point de différences entre filles et garçons ! “Les jeunes restent attachés à l’institution familiale et font en sorte de s’y intégrer via la participation. Mais cette contribution ne va pas au-delà de la répartition sexuelle des tâches. Elle est encore loin de la participation à la prise de décision”, concluent les rédacteurs du rapport de synthèse de l’étude.
Source: TELQUEL